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Prologue - Arrivée - Cusco - Machu Picchu - Lac Titicaca - La Paz, Sucre - Potosí et ses mines - Salar d'Uyuni - Lima - Epilogue

Vendredi 20/07 : Le Passage en Bolivie

Nous montons dans un car où se trouvent déjà d'autres touristes, pour aller en direction de la frontière entre le Pérou et la Bolivie, en prenant la route qui longe le lac Titicaca par le sud et qui, de Puno à La Paz couvre une distance de près de deux cents kilomètres. La frontière entre les deux pays andins sépare la ville de Desaguadero. Les habitants de celle-ci ont le droit de se rendre d'un pays à l'autre, sans aucune formalité administrative, mais uniquement en restant dans les limites de Desaguadero dont ils sont citoyens. S'il veulent poursuivre leur parcours plus loin dans le pays voisin, ils devront eux aussi, tout comme nous, passer par un contrôle d'immigration.

Desaguadero est bien une ville de frontière. Beaucoup de monde circule dans la rue, quantité de marchands ambulants ou non, de personnes se proposant de changer des dollars, de mendiants, d'enfants, et de voyageurs également qui font la queue aux postes frontières pour tamponner leur passeport. Après être passés au contrôle d'immigration péruvien pour avoir notre tampon "salida" (sortie) et en Bolivie, notre tampon "entrada", nous prenons un autre bus. Plus petit cette fois, et pour nous uniquement, celui qui allait nous accompagner durant tout notre séjour en Bolivie. Nous y retrouvons également une jeune fille du pays qui va nous servir de guide pour la journée et notamment nous présenter le site archéologique de Tiwanaku, à une demi-heure de bus de Desaguadero.

Le site archéologique de Tiwanaku ou Tiahuanaco, fut érigé par la civilisation du même nom qui régna autour du lac Titicaca depuis un peu avant notre ère jusqu'à près de mille deux cents après Jésus-Christ ce qui en fait l'une des plus longues civilisations au monde. A son apogée, vers l'an mille, l'Empire de Tiahuanaco englobait près de la moitié de l'actuelle Bolivie, le sud du Pérou, le nord-ouest de l'Argentine et toute la moitié nord du Chili.

La pampa Koani ou se trouvent actuellement les ruines de Tiahuanaco devait être il y a mille cinq cents ans une vaste plaine agriculturale densément peuplée et pouvant nourrir près de cent vingt-cinq mille personnes. Aujourd'hui, la pampa ne compte plus qu'une petite dizaine de milliers de paysans confinés dans l'extrême pauvreté. La plaine était prospère en raison d'un antique système de champs suspendus mis en place par l'Empire de Tiahuanaco il y a deux mille ans. Sur de massives constructions en pierre, hautes de un mètre, reposait une couche de terre imperméable. Par-dessus celle-ci, du gravier grossier et encore au-dessus une autre couche de gravier mais plus fin. Et tout au sommet s'étalait la terre cultivable de l'Altiplano. Ces énormes structures pouvaient atteindre jusqu'à deux cents mètres de long pour quinze mètres de large. Parallèles les unes entre elles, elles étaient séparées par de profonds tunnels d'irrigation. Ceux-ci devenaient très utiles en cas de sécheresse, tandis que les cultures surélevées étaient protégées des inondations.

L'actuel site de Tiahuanaco était la grande capitale de l'empire, sûrement très impressionnante à l'époque, avec de grandes pyramides, des temples et des palais, construits de massifs blocs d'andésite pouvant peser jusqu'à cent cinquante tonnes. La cité était très certainement peuplée par les artisans les plus adroits de l'empire, des sculpteurs, des joailliers, des tisseurs, des potiers... Les "légions" de l'empire étaient bien armées et bien organisées. Les soldats très braves au combat mais d'une férocité implacable s'adjugeaient les têtes de leurs ennemis vaincus en guise de trophées. Les royaumes voisins conquis par l'empire étaient sous la coupe d'un centralisme très poussé. Des administrateurs du pouvoir central levaient des taxes dans les différentes régions de l'empire, et un système de routes développé permettait la communication entre celles-ci et la capitale, pour le commerce notamment.

Tiahuanaco fut la civilisation andine qui dura le plus longtemps, celle-ci éclata entre 1100 et 1200 de notre ère, sans que l'on sache réellement pourquoi. En l'espace de cinquante ans, elle a complètement disparu. Plusieurs hypothèses sont avancées, tremblement de terre gigantesque (mais aucune preuve géologique ne l'atteste), une invasion de tribus guerrières étrangères (aucune évidence), ou théorie à laquelle on accorde le plus de crédit, une terrible sécheresse prolongée. L'empire fut alors supplanté par les petits royaumes qu'il englobait jadis sous sa domination, ceux-ci se faisant la guerre pendant près de deux siècles. Jusqu'à ce que... un nouvel empire émerge et les prenne à nouveau sous sa tutelle centralisatrice, l'Empire inca, vers 1430.

Tiahuanaco ne conserve aujourd'hui que très peu de ce qui fut sa richesse passée. Les Espagnols se chargèrent de piller les trésors de ses palais tandis que les indiens locaux, jusqu'au milieu du XXème siècle démantelèrent de nombreux temples pour se servir des pierres dans la construction des églises et des maisons. Comble de l'"inculture", dans les années 1890, une société britannique dynamita des temples pour les transformer en gravier, nécessaire à l'établissement d'une ligne de chemin de fer reliant La Paz au Pérou. Mais l'Empire de Tiahuanaco était si vaste qu'encore au XXIème siècle de nombreuses traces de sa civilisation subsistent, certaines n'ayant encore jamais été examinées de près.

La principale structure du site archéologique de Tiahuanaco est le temple de Kalasasaya, partie la plus sainte du site, là où sont enterrées les élites. Au coin nord-est du temple se tient la Porte du Soleil, trois mètres de haut pour quatre de large, et pesant près de dix tonnes. A son sommet, la frise complexe avec au centre un dieu à tête de soleil est sensée représenter un calendrier indiquant les mois, les jours et également les heures. Près de Kalasasaya se trouve un temple creusé dans le sol, où autrefois étaient entreposés des monolithes sacrés appartenant aux royaumes conquis par l'empire. Sur les côtés, les murs laissent dépasser des petites têtes gravées dans la pierre. Leurs traits ne correspondant pas aux indiens locaux, les spécialistes rivalisent alors de malice pour leur trouver une signification, une origine crédible. Ainsi, une fois de plus diverses théories sont échafaudées, têtes représentant des chefs, des dieux, des tribus étrangères vaincues. Certains pensent qu'elles traduisent différents états physiologiques du visage humain car le temple aurait été une maison de soins.

Nous remontons dans notre petit bus pour aller à La Paz, la capitale de la Bolivie où nous allons passer notre première nuit dans la petite république andine. Pas si petite que cela en réalité, puisque sa superficie dépasse le million de kilomètres carrés.

La ville de La Paz qui compte près de huit cent mille habitants s'étale dans une cuvette, entourée de plusieurs sommets enneigés. La vue vaut le coup d'oeil ! Il s'agit de la capitale la plus haute du monde, elle s'étage entre trois mille deux cents et quatre mille mètres d'altitude. En bas, les quartiers riches et les centres d'affaires, plus haut le centre historique de la ville, et au sommet, accrochés sur les flancs des montagnes, les quartiers pauvres. Avant d'arriver à La Paz, nous traversons le faubourg populaire d'El Alto, à quatre mille mètres. Avec ses cinq cent mille habitants, El Alto constitue une ville à part entière, troisième de Bolivie de par sa taille, et première de toute l'Amérique latine, de par sa croissance démographique. C'est là que se trouve l'aéroport international de La Paz.

Notre hôtel, le Sagárnaga, est situé dans le centre-ville, à une altitude d'environ trois mille six cents mètres. Nous ne sommes qu'à quelques encablures de la Plaza Murillo, coeur historique de la ville. Nous sommes arrivés quelque peu avant dix-huit heures, l'heure de fermeture de tous les bureaux de change. Je me suis de suite rué dehors pour essayer de changer quelques travellers chèques et obtenir ainsi des bolivianos. Après avoir demandé à une bijoutière où je pouvais trouver une maison de change, j'ai descendu la rue de l'hôtel sur plusieurs dizaines de mètres pour arriver sur la Plaza San Francisco et sa belle église. J'ai ensuite traversé l'artère centrale de La Paz, el Prado, bourrée de voitures et de taxi-colectivos. Quel intense trafic ! Le piéton ne me semble pas être roi ici. Je me suis décidé à suivre un "La Pazois", pour ainsi me faufiler entre les véhicules sans aucun dégât. Après avoir enfin pu changer mes travellers, je suis remonté à l'hôtel. Je n'avais pas du tout pensé à la montée durant ma descente effrénée, mais j'ai vite compris ma douleur en arpentant cette rue pentue. Pour vivre ici, il faut des pattes musclées, de la vigueur, et surtout, ne pas être en fauteuil roulant. Mais ce n'est qu'une question d'habitude, j'allais m'en rendre compte plus tard. Et puis, c'est agréable le matin, d'aller chercher son pain et de remonter une côte.

De la chambre de mon hôtel, je pouvais admirer une vue superbe. Peu à peu la nuit tombe sur La Paz, les montagnes disparaissent pour ne laisser la place qu'aux petites lumières. De la musique émane d'un quelconque endroit, elle est "chaude" et m'embrase les oreilles et le coeur. La nuit commence à La Paz, vivante et animée, il est temps que je descende pour aller manger avec le groupe -car l'homme aussi Grand soit-il, ne se nourrit pas que de paysages et de musique !-.

Samedi 21/07 : Un Doux Parfum de Sucre...

Dès le matin, nous prenons notre autocar pour nous rendre à l'aéroport international d'El Alto où nous embarquons à bord d'un avion en direction de la ville de Sucre. Située à deux mille huit cents mètres d'altitude, Sucre, qui compte près de cent quarante mille habitants est la capitale constitutionnelle de la Bolivie et abrite la Cour de justice, en plus des meilleures universités du pays. Elle doit son joli nom au Général Antonio José de Sucre, premier Président de la Bolivie après l'indépendance acquise par les armes en 1825. Rien à voir avec notre sucre à nous qui se dit "azúcar" en espagnol.

Dès les premiers abords, Sucre semble être une ville plutôt riche. On la surnomme la Ciudad blanca (la ville blanche), en raison de ses nombreux édifices coloniaux peints d'un blanc éclatant. J'imagine qu'ils doivent être repeints régulièrement car les bâtiments sont impeccables de propreté. Il en est de même pour les rues qui ne laissent paraître aucun déchet, et qui sont en plus agrémentées de palmiers et d'une espèce qui ressemble à l'olivier. Il y a un parfum de méditerranée et de plage dans cette ville, heureusement que j'ai emmené mon maillot de bain !

Classée au Patrimoine mondial de l'UNESCO, Sucre abrite de nombreuses bâtisses coloniales à l'architecture remarquable. C'est par exemple le cas de la Casa de la libertad, située sur la Plaza Veinti Cinco de Mayo (la place du vingt-cinq mai), place principale de Sucre. Cette magnifique maison avec patio central a été reconvertie en musée. La charte d'indépendance de 1825 fut signée dans ses murs, et c'est également là qu'a siégé la première assemblée parlementaire de la Bolivie.

Pour profiter pleinement de cette journée libre dans Sucre, je suis allé visiter son marché. Installé dans un grand hall, on y trouve de tout, viandes, pains, fromages, fruits, légumes, épices. A peu près comme un de ces merveilleux marchés que l'on rencontre dans notre belle Provence, mais ici il s'agit de la version bolivienne, plus indienne. Tous les sens sont en éveil... J'ai retrouvé trois membres de mon groupe et nous avons acheté quelques vivres pour ensuite aller les consommer assis sur un banc de la place principale, au milieu des palmiers, sous le soleil (des tropiques). Cadre idyllique pour manger en paix, ne manquent plus que la mer et les filles en maillot de bain. Mais quatre touristes assis tranquillement sur un banc, en Bolivie, pays actuellement le plus pauvre d'Amérique du Sud, c'est pour certains une opportunité à ne pas manquer.

Nous avons vite été accueillis par trois petits cireurs de chaussures, les mêmes que l'on trouve un peu partout, tellement attendrissants, mais un peu "lourds" parfois. J'ai posé à l'un d'eux la même question qu'au gamin de Puno, combien y a-t-il de cireurs de chaussures à Sucre ? quarante dans tout Sucre me répond le gosse et une vingtaine autour de la place. Quand je lui ai demandé s'il était né à Sucre ou s'il venait du campo, de la campagne environnante, il m'a répondu fièrement "Ah Sucre, Sucre !" Du lundi au vendredi, il va a l'école si j'en crois ses mots, et apparemment le travail de son père, "constructeur de maisons" ne lui permet pas de profiter des week-ends comme un petit enfant le ferait chez nous. "Hay que trabajar" (il faut travailler), pour pouvoir se nourrir correctement, se payer des vêtements et le matériel scolaire. Le salaire du papa n'est pas suffisant pour toute la famille.

Après les cireurs de chaussures qui restent assis en canard devant nous et semblent prendre racine, c'est au tour des adultes de nous faire leur numéro. Les vieux paysans au visage buriné par le soleil et les ans viennent nous présenter leur gamme de vêtements, ceintures, bonnets, gants, gilets. Après, une paysanne avec son petit bambin sur le dos et sa petite fille à ses côtés nous proposent que nous prenions une photo d'eux. J'accepte, je ne peux résister à cette tentation. Je donne l'orange que j'étais entrain de peler à la petite fille, car elle commençait à me mettre du jus sur tout le pantalon.

Je le répète, Sucre ne m'a pas donné l'impression d'être une ville pauvre avec ses bâtiments bien peints, ses rues propres, son parc automobile relativement récent, son absence de bidonvilles à la périphérie. Mais à côté d'une population citadine qui vit plutôt bien, dont certains roulent même en 4x4 Chrysler avec un téléphone portable, on trouve des paysans en quantité qui mendient assis au coin d'une rue, ou qui vendent quelques produits artisanaux. Ceux-ci viennent, ou sont venus dans un passé plus ou moins proche, de cet autre monde qui coexiste avec la Bolivie des villes, la campagne rurale, très pauvre et très sous-développée. Ces deux univers sont interconnectés, mais les mouvements migratoires ne vont que dans le sens campagne-ville.

Je ne saurais dire si cette foule de paysans revient chaque soir dans sa campagne, s'ils "squattent" simplement un banc pour la nuit, s'ils ont trouvé un endroit à l'extérieur de la ville pour vivre. Je pense que les ponts ont été coupés avec leur ancien milieu rural, et qu'ils appartiennent maintenant à la ville qui elle aussi contient son lot de misère et de misères. De leur passé, seul le costume ils ont gardé. Il en va peut-être autrement de ceux qui vendent leur production artisanale, peut-être viennent-ils seulement à Sucre le week-end pour l'écouler ? J'aimerais comprendre, mais je n'en saurai certainement pas plus cette année, il me faudrait plus de temps.

J'ai lu récemment que la Bolivie est le pays qui a le taux de pauvreté rural le plus élevé au monde, même plus qu'un pays d'Afrique comme l'Ethiopie ou la Somalie. Très étonnant. Cela renforce encore cette idée de fossé gigantesque entre la ville et la campagne et cette notion de Bolivie à deux visages, l'un relativement dynamique et développé, l'autre extrêmement pauvre et arriéré.

Dans le petit parc de la place centrale, des gamins en lunettes, en jean's et en polo, s'amusent sur leurs bicyclettes. Du coin de l'oeil, leur mère, une glace trois boules à la main les surveille. Quelques mètres plus loin, un gamin tout sale s'approche d'un couple de touristes assis sur un banc. D'une petite main tremblante il implore la pitié. Derrière, sa mère arrive, habillée en costume traditionnel, sale et troué, avec un bébé dans le foulard attaché sur son dos. Elle prend un air de malheureuse -elle n'a pas besoin de se forcer- et mendie à son tour. Plus loin, la señora rappelle ses bambins, il est l'heure de rentrer à la maison pour prendre le goûter. Les touristes se lèvent du banc, les paysans restent désemparés. Ils n'ont plus qu'à trouver d'autres étrangers plus généreux. Sont-ils des "vrais paysans" qui après avoir travaillé une terre improductive durant toute la semaine viennent en ville le jour du seigneur en quête de quelques sous ? Où sont-ils des mendiants déguisés en paysans, des anciens agriculteurs devenus clochards avec le temps ? Un peu des deux, d'abord l'un puis l'autre.

Mais terminons cette journée sur une note plus gaie, la visite d'une école de jeunes filles. Située dans l'église San Felipe Neri qui date du XVIIème siècle et abritait autrefois un couvent, l'école accueille des filles de six à dix-sept ans, ce qui correspond plus ou moins en France, au primaire et au secondaire. L'école est évidemment privée et doit coûter très cher à en juger par le cadre : un magnifique couvent tout blanc, tout propre, sur plusieurs étages avec des arcades, et avec une grande cour centrale à ciel ouvert. Ce ciel justement est d'un bleu pur immaculé, contrastant avec le blanc éclatant du bâtiment. Mais tout cela n'est que le sommet de l'iceberg, le plus intéressant est encore de regarder les photos de promotion des jeunes filles sorties du couvent. Elles sont à la hauteur de ce lieu, resplendissantes ! Il me vient à l'esprit pendant un instant d'aller enseigner la langue de Molière dans cet établissement. Dans les classes supérieures évidemment. Ces métisses, mélanges d'indiens et de blancs, trait caractéristique de la couche la plus favorisée de la société, ont tout pour plaire. Beaucoup d'entre-elles sont très belles, pratiquement toutes doivent être riches pour pouvoir étudier ici, et cerise sur le gâteau, peut-être sont-elles aussi intelligentes !

Nous montons ensuite dans la tour de l'église pour accéder au sommet du couvent. Il est possible de se balader sur les toits et d'admirer une vue splendide sur la ville de Sucre, avec ses toits de brique orangée à la manière de ceux de Cuzco, et ses édifices blancs comme la neige. Il est maintenant temps de redescendre pour gagner notre hôtel et ensuite aller dîner. Demain déjà nous devrons partir, mais cela ne m'empêchera pas de garder un très bon souvenir de Sucre, la ville blanche.